En Eaux troubles

Épisode

6

L'ombre d'un espion

Dans l’épisode précédent, les journalistes apprennent qu’une source militaire anonyme désigne le sous-marin anglais, Turbulent, comme le possible coupable dans l’affaire du Bugaled Breizh. Elles essaient alors de recouper ses dires et font de nouvelles découvertes…  

Pendant plus d’un an, les journalistes Adèle Humbert et Emilie Denètre ont enquêté sur le mystérieux naufrage du Bugaled Breizh.

Elles sont parvenues à reconstituer le dossier d'instruction ; ont retrouvé les témoins, experts, et proches des victimes et se sont rendues sur le terrain, en Bretagne et en Angleterre. 

Presque vingt ans après les faits, elles ferment certaines pistes et en ouvrent une, restée quasi inexplorée jusqu'à présent...

Durée : 
35
min.
16.11.2020
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L'ombre d'un espion

Sous-marin rattrapant et cône sourd

 

Dans son premier rapport remis à la justice le 1er juin 2007, l’Amiral Dominique Salles évoque déjà la possibilité qu’un sous-marin puisse être impliqué dans le naufrage du Bugaled Breizh. Selon lui, le submersible serait arrivé par l’arrière et aurait pris les funes du Bugaled par son safran inférieur arrière. Au bout de quelques secondes, le chalutier aurait été libéré de sa prise mais, trop déséquilibré, il aurait coulé…
En juin 2005, après avoir étudié la position dans laquelle l’épave et son train de pêche sont retrouvés par 87 mètres de fond, les experts de l’Ifremer, Jean-Paul George (capitaine de pêche) et François Théret (technologiste de pêche), sont les premiers à mettre en cause un sous-marin, pudiquement appelé une « force exogène ». Ils construisent alors un scénario probable : celui d’une prise de la fune bâbord (gauche) par un sous-marin contre-bordier, ce qui veut dire en route inverse du Bugaled.

Une route et des doutes

Si cette thèse permet d’expliquer le croisement des funes et des panneaux, la fune bâbord aurait été amenée vers la fune tribord par la force du sous-marin, elle ne permet pas forcément d’expliquer le cap de l’épave ni les détériorations – certes moindres –  retrouvées sur l’autre fune.

 

Pour rappel : selon toute vraisemblance, le Bugaled pêchait dans un cap Est-Nord-Est (ENE) – on peut le déduire grâce à l'orientation du filet sur le fond qui ne pouvait qu'être dans l’alignement du bateau – alors que l'épave est retrouvée pointant au Sud-Est.

Dans ses deux premiers rapports, rendus en juin 2007 et juillet 2008, l’amiral Dominique Salles va donc explorer une autre piste : celle d’un sous-marin « rattrapant », c’est-à-dire arrivant par l’arrière du Bugaled Breizh.

 

Le safran arrière : la pièce centrale

Ancien commandant de sous-marin, et donc fin connaisseur du fonctionnement des submersibles, Dominique Salles émet des hypothèses sur la manière dont un sous-marin aurait pu se prendre dans les funes du Bugaled et comment il aurait pu s'en libérer « sans casse matérielle » ni intervention humaine ?
Après avoir éliminé une prise de funes par le « massif », il estime que le scénario le plus probable est celui d’un accrochage de la fune par le safran (partie du gouvernail) inférieur arrière du sous-marin.

 

Extrait du rapport de Dominique Salles

Poursuivant son raisonnement, il estime que, dans ce cas, le sous-marin ne pouvait être que « rattrapant », c’est-à-dire qu’il serait arrivé par l’arrière tribord (droit) du Bugaled et que c’est en le « rattrapant » qu’il se serait pris dans la fune babord. C'est ensuite en le « dépassant » qu'il aurait fait tourner le Bugaled et que la fune se serait alors libérée.
 
Croquis extrait du rapport de Dominique Salles

L'effort du sous-marin sur la fune l'a faite se dérouler sur une longueur de 140 mètres : la route du sous-marin s'écartant de celle du chalutier, la force alors exercée sur l'arrière bâbord de celui-ci a eu pour effet de faire pivoter l'étrave du Bugaled vers le Sud-Est. 
La fune s’étant libérée du safran arrière par la conjugaison du poids du panneau qui rappelait vers le bas et du chalutier qui coulait avec un même effet, l’Amiral Salles émet l’hypothèse d’un effet mécanique de « rappel » de la fune bâbord vers la droite (et la fune tribord) : cela pourrait expliquer l’entremêlement des câbles sur presque 300 mètres. Un fait constaté quatre jours après le naufrage puis lors du renflouement de l’épave en juin 2004.
 
Croquis extrait du rapport de Dominique Salles

Le cône sourd

Lors de nos rencontres avec l’amiral Salles, nous l’avons interrogé sur cette thèse du sous-marin rattrapant et notamment sur la capacité des hommes à bord du sous-marin de se rendre compte qu’un problème était en cours.
Sa réponse nous a surprises. En effet, même si nous savions que les sous-marins naviguaient à l’aveugle, nous étions persuadées que ces géants des mers (150 mètres de long) étaient capables de détecter tous les bruits des fonds marins, grâce à leurs outils sophistiqués, à leur « oreille d’or » à bord, et que le frottement d’une fune en acier contre la coque aurait nécessairement alerté l’équipage.
Mais ce que nous a expliqué Dominique Salles c’est que :
1. Le compartiment machine, très bruyant, se trouve justement à l’arrière des sous-marins : le frottement de la fune à cet endroit est absolument inaudible ;
2. L’implosion de la cale à poissons pendant la descente du bateau vers le fond aurait également pu passer inaperçue dans la mesure où un « cône sourd » (une sorte d’angle-mort de l'écoute) existe à l’arrière des sous-marins.
Si, selon l’Amiral Salles, l’équipage a eu connaissance de passer très près d'un chalutier, il n' a pas nécessairement perçu qu’il avait accroché la fune et que le bateau avait coulé sur l'arrière du sous-marin. 
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